J’ai accueilli des migrants chez moi, dans le bocage de l’Avesnois

Avatar de Thalie Dumesnil   Par Citoyenne

LE PLUS. Thalie Dumesnil et son mari habitent en plein cœur du parc naturel de l’Avesnois, situé dans le nord de la France. En juin dernier, le couple s’est senti concerné par le sort de deux Soudanais résidant dans la « jungle » de Calais et a décidé de les accueillir chez eux. Leur trouver un toit, les accompagner dans leurs démarches administratives, etc., ils ont tout fait pour les aider.

Édité et parrainé par Louise AuvituPartager sur Google+Partager sur LinkedinEnvoyer cet article à un ami

 

J’habite dans le bocage de l’Avesnois, à une trentaine de minutes de Valenciennes. C’est une région rurale, mais elle est loin d’être désertique.

Je suis engagée dans une structure culturelle qui s’appelle La chambre d’eau et qui accueille des artistes en résidence. L’année dernière dans le cadre d’un partenariat, j’ai eu la chance de rencontrer Karolina Brzuzan, artiste plasticienne polonaise, était accueillie et menait un travail sur les migrants et notamment ceux de Calais.

C’est elle qui a sensibilisé mon mari et moi à leurs conditions de vie et nous avons décidé de nous rapprocher d’associations pour savoir si nous pouvions être d’une quelconque utilité. Nous étions favorables à l’idée d’accueillir des migrants chez nous, mais on nous a répondu que notre localisation en milieu rural n’était pas idéale pour des raisons de mobilité

Pourtant, début juin, j’ai reçu un coup de fil de mon mari. Il m’annonçait que deux migrants en provenance de Calais étaient acheminés vers chez nous et il voulait savoir si nous acceptions de les accueillir. Je n’ai pas hésité une seule seconde à leur ouvrir notre porte.

Une brosse à dents et des lentilles corail

Mohammad, 26 ans, et Amjad, 30 ans, sont arrivés le premier jour du ramadan. Tous les deux sont originaires du Soudan et avaient vécu près de trois semaines dans la « jungle » de Calais. Avant de s’y retrouver, ils ne se connaissaient pas, mais avaient suivi plus ou moins le même itinéraire jusqu’à ce qu’ils échouent là-bas.

Le premier soir, je me souviens qu’ils parlaient peu. Je me suis contentée de leur montrer leur chambre. Je ne voulais pas les harasser de questions, je savais qu’il leur fallait du temps pour découvrir leur environnement. La seule chose qu’ils m’ont demandée c’était que je leur donne une brosse à dents et du dentifrice.

Dans les jours qui ont suivi, je les ai accompagnés au supermarché. J’ai tout de suite compris que leur plus grande crainte était de ne pas manger à leur faim. Loin de nos habitudes capitalistes, ils se dirigeaient vers les denrées essentielles.

Par exemple, ils m’avaient notamment fait comprendre qu’ils recherchaient un ingrédient particulier. J’ai cru qu’il s’agissait de lentilles, mais ils voulaient des lentilles corail. Elles sont très utilisées dans leurs plats nationaux. J’ai alors compris que c’était aussi un moyen pour eux de ne pas oublier d’où ils venaient.

Nous avons toujours réussi à communiquer

Bien qu’Amjad et Mohammad ne parlent pas français et peu l’anglais, nous avons toujours réussi à communiquer. Parfois par des gestes ou des mimiques faciales, mais toujours avec succès. Même si cela devait prendre du temps, j’y tenais particulièrement.

« Qui fait à manger ? », « Que cuisinons-nous ? », très vite, les questions d’organisation se sont posées. Je tenais à ce que chacun participe et eux voulaient aussi donner un coup de main. Au détour des repas et de leur préparation, j’ai appris à les connaitre.

Ils m’ont parlé de leur histoire, de leurs difficultés pour se nourrir, pour dormir ou se laver. Tous les deux ont vécu la guerre du Darfour, l’un a fui les milices qui tuaient les civils et détruisaient tout sur leur passage, l’autre a été emprisonné et persécuté.

Au bout d’un mois, nous avons demandé à Mohammad et Amjad ce qu’ils envisageaient pour la suite. Nous ne voulions pas les mettre dehors, mais simplement connaître leurs aspirations. Tous les deux, nous ont fait part de leur volonté de rester en France, d’acquérir une certaine autonomie et d’apprendre notre langue.

Deux jours de cours de français par semaine

Mohammad et Amjad connaissaient quelques mots de français, mais ils n’avaient jamais eu l’occasion de prendre de véritables cours.

Je me souviens d’avoir questionné Amjad sur ce sujet. Je savais qu’il y avait des enseignements dans la jungle de Calais et je voulais comprendre pourquoi il n’avait pas eu l’occasion d’en bénéficier. Il m’a expliqué :

« Vivre dans la jungle, ça signifie faire des heures de queue pour manger ou pour se laver. On manque de temps pour apprendre le français en fin de journée. »

Heureusement, nous avons eu la chance d’être soutenus par l’association « Mots et merveille » qui aide les personnes illettrées et celles qui ont perdu la pratique de la lecture et de l’écriture.

Depuis le mois de septembre, Mohammad et Amjad suivent donc des cours deux jours par semaine et progressent à vue d’œil.

Mohammad et Amjad ont trouvé un logement

Nous nous sommes également mobilisés pour leur trouver un logement. Pour cela, nous avons activé nos réseaux, parlé de leurs cas auprès d’associations et le bouche à oreille a bien fonctionné. En août, un couple a accepté de leur prêter une maison gratuitement pendant un an.

Une belle victoire qui a néanmoins mis du temps à être célébrée dans la mesure où cela impliquait des démarches administratives. Nous avons en effet créé une association Collectif Solidarité Migrants aujourd’hui très dynamique qui accompagne dorénavant Mohammad et Amjad dans leurs démarches. Grâce à une vraie mobilisation citoyenne, Mohammad et Amjad ont pu s’installer dans leur nouvelle demeure début octobre. Elle est située à une dizaine de kilomètres de chez nous et je ne manque d’y passer plusieurs fois par semaine.

Leur arrivée dans ce petit village a été accueillie de manière mitigée. Le maire nous a reçus et a été plutôt favorable à leur venue, mais il est certain que d’autres personnes avaient quelques appréhensions.

Heureusement, depuis qu’ils sont installés, le climat s’est apaisé et tout se passe pour le mieux. Des villageois leur proposent régulièrement de les accompagner dès qu’il y a une activité dans les environs.

La lenteur des démarches administratives

Mohammad et Amjad font partie de l’association Quercy Sel qui propose d’échanger des coups de main bénévolement. Par exemple, ils peuvent préparer un dîner soudanais à une famille en échange de travaux dans la maison.

Ils bénéficient également des denrées des Restos du cœur et participent, de leur plein grès, au déchargement des camions. Ces petites attentions sont un bon moyen pour eux de trouver leur place au sein de la société, mais elles résultent aussi du fait que Mohammad et Amjad ne peuvent pas travailler sur notre territoire pour le moment.

En effet, il y a un domaine sur lequel nous avançons lentement: il s’agit de leur demande pour acquérir le statut de réfugiés. Nous sommes confrontés à la lenteur des démarches administratives. Tous les deux ont conscience qu’ils peuvent être déboutés et ont la sensation d’avoir une épée de Damoclès au-dessus de leur tête.

Les Français sont sensibles à la question des migrants

Pour venir en aide à ces deux Soudanais, nous avons monté un collectif citoyen. Pour moi, cette initiative et l’élan de solidarité qui s’est créé autour de ces deux personnes démontrent que les Français sont sensibles à la question des migrants et veulent, pour un grand nombre, les aider.

Ce type de mobilisation est aussi un bon moyen de lever certaines barrières. Pour Mohammad et Amjad, cela leur a permis de trouver un toit, d’apprendre notre langue, de sortir de leur communauté tout en gardant un lien.

Je ne suis absolument pas fermée à l’existence des CAO, mais je souhaite qu’ils soient le plus ouvert possible afin que les demandeurs d’asile puissent rencontrer la population et commencer à créer des liens indispensables pour pouvoir à l’avenir, vivre ensemble .

Propos recueillis par Louise Auvitu