Principal de collège, je suis pour les portables à l’école. Interdire, c’est impossible

Par Proviseur  (Édité par Barbara Krief )   

LE PLUS. Principal d’un collège, François est contre l’interdiction de l’utilisation du téléphone portable par les élèves dans son établissement. Une mesure proposée par le candidat à l’élection présidentielle Emmanuel Macron, qui existe déjà depuis 2010 sous une forme juridique encore un peu floue. Selon le principal, éduquer vaut mieux qu’interdire.

Des jeunes adolescents sur leur téléphone portable. Image d’illustration (Flickr)

Je suis principal de collège depuis 13 ans et depuis une dizaine d’années, du Nokia 3310 au dernier iPhone 7, j’assiste à la déferlante de téléphones portables dans les cours de récréation. Aujourd’hui, 95% des élèves de mon établissement possèdent un téléphone portable et viennent avec à l’école.

La proposition d’Emmanuel Macron, candidat à l’élection présidentielle, ne me semble pas bonne. Ce n’est pas avec l’interdiction du portable que nous protégerons les élèves, c’est en les éduquant sur le sujet.

Interdire, c’est impossible

L’achat d’un téléphone est devenu une priorité pour les parents qui n’hésitent à débourser une petite fortune pour en offrir un à leurs pré-adolescents. Même les moins aisés succombent. Ils se sentent rassurés de pouvoir communiquer avec leur enfant à tout moment. D’ailleurs, le premier argument des parents pro-portable est toujours celui de la sécurité.

Les enfants qui n’ont pas de portable en 6e sont généralement ceux des parents bobos qui préfèrent l’interdire pour des raisons idéologiques. Ces collégiens finissent toujours par regarder par-dessus l’épaule de leurs camarades qui jouent sur leur smartphone dans la cour de récréation.

Le portable est devenu un prolongement du bras des collégiens. Mais aussi de celui de leurs parents, des proviseurs, des professeurs… Bref, de tout le monde. L’interdire serait totalement absurde, il fait partie de la vie de tous. Le collège se doit d’être dans la réalité et de vivre avec son temps. Sans parler du fait qu’interdire le portable au collège est tout simplement impossible.

Les imprudents et les addicts

Les élèves trouveront toujours un moyen d’introduire subtilement un portable dans l’enceinte du collège et de s’enfermer avec aux toilettes. Cette situation serait bien pire. C’est pourquoi, dans mon établissement, je pratique une autorisation encadrée.

Les élèves ont le droit d’avoir un téléphone portable, mais ils ne peuvent pas l’utiliser dans les bâtiments de l’établissement. Ils ont l’obligation de le laisser éteint pendant les cours, mais peuvent le rallumer dès qu’ils sont dans la cour en extérieure ou bien dans la rue, devant l’école.

Il arrive évidemment que des portables sonnent en classe. Soit il s’agit de jeunes 6e qui ont oublié de l’éteindre ou qui ne maîtrisent pas tout à fait les différentes sonneries. Ou bien, ce sont des 3e dont le portable est une telle addiction qu’ils ne peuvent pas s’empêcher d’y jeter un coup d’œil régulièrement, sans même le faire exprès.

Le problème de la confiscation

Dans tous les cas, nous confisquons l’objet que nous rendons uniquement en main propre aux parents. Cela montre que ce n’est pas à anodin. Ce qui est amusant, c’est de voir certains parents énervés que j’ai pu confisquer un téléphone.

Le souci avec la confiscation, c’est le vide juridique : l’établissement peut être accusé de recel. La perte ou le vol de portables confisqués est aussi un problème. Dans mon ancien collège, un téléphone avait disparu du bureau dans lequel les surveillants l’avaient mis. C’est gênant comme situation et puis c’est coûteux : c’est à l’école de racheter un nouveau téléphone.

En moyenne, nous confisquons cinq portables par semaine dans mon établissement d’à peu près 350 élèves. Il arrive que la confiscation soit un moment difficile. Pour un adolescent de 3e, c’est parfois la fin de sa vie.

Des intervenants venus de la police

Autoriser le téléphone tout en l’encadrant nous permet de garder un œil sur l’utilisation qu’en font les adolescents. Bien sûr, nous ne pouvons pas tout contrôler. Il arrive que des disputes commencent en ligne et finissent par devenir physiques. Généralement, les élèves s’insultent sur les réseaux sociaux, comme Facebook, puis quand ils se croisent, ils en viennent en main. Mais nous essayons de repérer les conflits avant qu’ils ne dégénèrent.

La pornographie, les réseaux sociaux, le partage de contenu ou encore les rencontres en ligne posent beaucoup de problèmes. Auxquels nous tentons de répondre par la pédagogie et l’information, et non pas par l’interdiction. 

Nous sensibilisons nos élèves aux dangers d’internet et du téléphone portable. Nous faisons appel à des intervenants, souvent ceux de la police qui encadrent aussi des sessions sur les dangers du cannabis. Avec eux, les collégiens apprennent que mettre des vidéos ou des photos d’eux sur internet peut leur être dommageable, mais aussi, que la pornographie n’est pas la réalité.

Nous éduquons aussi les parents

Nous éduquons aussi, et surtout d’ailleurs, les parents. Ils ne connaissent pas toujours mieux que leurs enfants les problèmes que posent les smartphones et internet.

Lors de la réunion de rentrée en septembre, je leur explique que c’est à eux de limiter l’utilisation du téléphone à la maison. C’est surtout le soir que le portable pose problème. Les enfants rentrent chez eux, le portable allumé, et ne l’éteigne jamais. Ils s’endorment avec l’objet sur leur table de nuit et sont réveillés en permanence par les alertes qu’il émet. Leur sommeil en est moins bon et ils arrivent fatigués en classe.

C’est bien plus problématique d’utiliser un téléphone la nuit au lieu de dormir, que dans la cour pendant une pause en pleine journée.

La dictée de SMS

Un portable qui sert uniquement à appeler et à envoyer des SMS est largement suffisant pour les plus jeunes. C’est même d’ailleurs très pratique, je dois le reconnaître. Un jour, une manifestation a débordé sur le parvis de mon établissement. Des casseurs avaient forcé le barrage des CRS. Nous avons donc dû réagir rapidement et confiner les élèves. Grâce à leur portable, la plupart étaient déjà au courant de la situation. Ils ont donc très bien réagi.

Nous avons installé les élèves dans les bâtiments et les professeurs leur ont dicté un SMS à envoyer à leurs parents pour les rassurer. Je suis principal d’un petit collège et nous avons une seule secrétaire. C’est la manière la plus rapide et la plus efficace de communiquer avec les parents d’élèves. Pourquoi s’en priver ?

Propos recueillis par Barbara Krief