Homo professorus

L’école, normalement, on y passe son enfance puis on s’en éloigne avec des souvenirs plus ou moins heureux. D’autres parfois, au contraire, l’ont fuie précocement à grands pas mais, en principe, on s’en éloigne naturellement en suivant la route tracée de sa future vie active…

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Eh bien ! non… pas pour tout le monde… Certains y passent toute leur enfance, adolescence, « adulescence » puis… y restent !


Les Profs.


Parmi eux, une espèce tout à fait particulière : le professeur des écoles. Cette espèce rare qu’il convient d’étudier tant elle est difficile à comprendre, à cerner, à raisonner même parfois, décontenance encore souvent ou horripile celui qui la côtoie, la croise, lui parle.

« Encore l’école ! » s’exclameront les conjoints désespérés de ces partenaires de vie qui mangent école, respirent école, parlent école, rêvent école…

Ah… s’ils avaient su !

Ah… mais… s’ils savaient !

Oui, encore l’école : une passion, un chemin, une vocation, toute une vie consacrée de la maternelle jusqu’à la retraite et même parfois au-delà vers l’infini !

C’est un peu comme Obélix je pense : il faut « être tombé dedans petit ».

L’école : un virus, une addiction sans doute.

Comment diagnostiquer un prof ?

Si vous présentez les symptômes suivants alors il y a de fortes chances (ou « risques » selon le point de vue de celui qui observe) que vous soyez un prof des écoles :

    • surcharge pondérale : présence d’un surpoids lié au déplacement permanent de cartable, de sacs plastiques, sac à dos ou bigbag aux contenus divers (cahiers, matériel, tenue de sport…) ;
    • folie douce : esprit tordu, gamin, enfantin, foufou – qui se met à chanter « les Barbapapa » à tue-tête n’importe où sans prévenir ;
    • hyperactivité  neurologique : cerveau continuellement en création, en recherche de projets, en imagination débordante (même aux toilettes, sous la douche, en voiture…) ;
    • créativité extrême avec délire de « déformation » : manie de transformer tout objet ou de le détourner de son utilisation première (les pâtes deviennent des colliers, les pailles servent à créer des volumes, les rouleaux de papier toilette…), ceci impliquant l’apparition du symptôme qui suit ;
    • ultra conservateur : manie de garder tout et n’importe quoi au point d’encombrer une pièce ou un espace de vie privée au grand désarroi de son entourage ;
    • impérativité : abus des impératifs « assieds-toi », « taisez-vous », « chuuuut » même en dehors du contexte scolaire auprès d’un public bruyant, impatient ou irrespectueux du calme attendu ;
    • folie dépensière : tendance à acheter des « bricoles » (sans forcément se les faire rembourser) pour le bien de ses élèves ou l’aménagement de sa classe ;
    • culpabilité : sentiment éprouvé en cas de maladie ou d’absence forcée ou obligatoire vis-à-vis de ses « petits » qu’il a l’impression d’abandonner.

Symptomatique d’urgence médicale :

  • abus langagier : lorsque vous désignez votre classe par votre « chambre », il est temps de consulter un psychiatre… mais souvent, il est déjà trop tard, vous êtes atteint par le virus et il faut alors suivre un traitement adapté.

Quel traitement ?

  • Dans tous vos déplacements, n’emportez aucun moyen de dépenser votre argent : ni carte bleue, ni monnaie, ni chéquier, ni copine qui peut « vous dépanner et après je te rembourse ».
  • Dans tous vos déplacements, évitez le public « enfant » qui risque obligatoirement de vous faire penser à vos élèves et donc à vos projets et donc à vos corrections et à votre programme et à votre fin d’année qui approche : montée de stress.
  • Dans tous vos déplacements, évitez le public « adulte » qui risque de vous rappeler les parents d’élèves que vous devez rencontrer avant la fin de l’année, à qui vous devez écrire un mot, auxquels vous devez donner une information capitale pour la danse de fin d’année, pour la sortie scolaire, pour le bilan orthophonique ou le gilet enfin retrouvé dans la salle de sport…
  • Évitez d’écouter de la musique : vous allez activer le stress du « j’ai pas fini la danse de fin d’année !! », l’échéance approche…
  • Évitez de visiter un musée, de partir à la plage, de vous promener dans votre jardin : vous risquez de préparer une visite de classe pour l’année prochaine, un projet «hôtel à insectes » pour l’année prochaine, une « classe de mer », une activité land-art avec des pâquerettes, imaginant pour vos élèves des colliers ou d’autres œuvres éphémères…
  • Cachez les feuilles, les cahiers, les crayons, tout matériel susceptible de vous amener à penser école…
  • Si vous avez-vous-même des enfants : débarrassez-vous-en car vous ne pourrez qu’aggraver votre pathologie lorsque vous accompagnerez leurs devoirs, lirez le mot de la maîtresse, verrez des choses géniales ou hallucinantes dans leurs cahiers qui vous feront bondir de plaisir ou de rage.
  • Évitez surtout de croiser le chemin d’un autre professeur des écoles ou il vous faudra reprendre le traitement à son départ !
  • Restez au calme, loin de la foule et des autres, loin de la nature et de la ville, finalement loin de la vie…

QUOI ? LOIN DE LA VIE ??

Ou alors : profitez !

Oui, vous êtes atteint par le virus du Prof des écoles et vous en êtes conscient !

Votre classe est devenue votre Oasis parce qu’elle est comme votre chambre : un lieu dans lequel vous passez plus de 7 heures par journée et dans lequel vous vous sentez bien ! Ne le niez pas : vous vous sentez bien au boulot… Parce qu’on ne peut pas être prof des écoles si on n’aime pas ça !!

Dans ce cas, vous pouvez choisir d’intensifier les effets secondaires :

  • Aménagez, décorez, valorisez votre classe à volonté : elle reflète qui vous êtes et « ambiance » vos journées – osez la couleur, les décorations sur les vitres, donnez envie à vos élèves aussi d’y revenir chaque jour !
  • Partagez votre folie avec vos proches : chantez ensemble à tue-tête les « Barbapapa » sous la douche ou en voiture !
  • Impliquez vos proches dans votre « récupéramania » : ne leur laissez rien jeter sans être passé auprès de vous par la case « ça, tu gardes ? »
  • Générez des énergies auprès des parents mais aussi de vos parents, de vos proches pour encadrer un événement, une sortie, une fête.
  • Éclatez-vous sans retenue avec vos élèves : partagez votre grain de folie toujours dans le respect et la justice et ils ne feront que plus vous apprécier pour l’adulte que vous êtes : leur modèle, leur exemple. Soyez à la hauteur de leurs besoins et attentes sans jamais oublier que ce sont des enfants et que vous en avez été un.
  • Acceptez les cadeaux de vos élèves : du dessin au bouquet de fleurs en passant par la déco pas top mais « c’est l’intention qui compte » sans culpabiliser, vous le méritez !
  • Et dites « merci » à la vie qui vous a permis de devenir ce professeur des écoles exceptionnel que vous êtes et qui aura contribué à l’avenir de… centaines d’enfants ! Eh oui ! ça va vite (pour ma part, 17 ans x 27 élèves en moyenne = 459 élèves !!!).

S.O.S Oasis en danger

Mais quels que soient votre énergie, vos arguments, vos démonstrations, votre investissement, avec ou même sans ce traitement médical, il restera toujours quelque part quelqu’un pour vous critiquer, vous mépriser, vous attraper les pieds dans l’espoir de vous empêcher d’avancer ou de rejoindre sereinement votre Oasis chaque jour.

Alors, invitez ceux qui vous critiquent (ou jalousent) à prendre votre classe une heure, une journée, ou à passer le concours de prof des écoles qui est ouvert à tous et si facile ou tout simplement à ne plus croiser votre propre chemin car vous êtes Professeur des écoles, et fier de l’être !

On n’enseigne pas ce que l’on sait. On n’enseigne pas ce que l’on veut. On enseigne ce que l’on est. Jean Jaurès

Une chronique de Claire Maurage