« Cette prof a changé ma vie » : les réjouissants souvenirs de nos lecteurs

Une enseignante avec sa classe dans l'école pilote de Suresnes, dans les années 1930
Une enseignante avec sa classe dans l’école pilote de Suresnes, dans les années 1930. (France Presse Voir/AFP)

Vous avez été des centaines à nous raconter l’histoire du prof qui a changé votre vie. Voici un florilège des témoignages que nous avons reçus.

Par Audrey Cerdan et Agathe Ranc

« Son gros défaut : il aimait les autres autant qu’il m’aimait moi »

Par André Ducharme, 67 ans, journaliste et écrivain à Montréal

« C’était en 1964, dans l’autre siècle, quand on ne se cherchait pas des amis sur Facebook. Il avait la peau mate, la barbe forte, un trou entre les dents, quelque chose du taureau dans l’ensemble de sa tournure. C’était le professeur d’éléments latins “B” à l’Académie de Québec. Durant ses cours, on n’avait pas envie de pisser dans le radiateur, de faire des concours de boulettes ou de l’enfermer dans le placard, comme on le faisait avec la prof d’anglais.

Il m’a fait aimer le latin et les cols roulés, m’a débouché l’horizon, ouvert le monde, traduit la vie. Un passeur, un maître à éveiller l’imaginaire, à révéler à chacun son allure, à élever l’esprit sans hausser le ton. Il avait un gros défaut : il aimait les autres élèves autant qu’il m’aimait, moi, avec ma coupe Beatles et mon cheveu sur la langue. Je l’aurais voulu concentré sur ma personne, moi, le premier de la classe – une fois sur deux, pour être honnête. Pédagogie, compétence, dévouement : il exerçait passionnément le métier d’enseignant. Près de 50 ans plus tard, merci Bernard Gosselin. »

(Reçu par internet)

« Il a ouvert des horizons inespérés »

Par Emilie Doublet, 32 ans, ingénieure à Thionville

« Pour mes camarades et moi, une classe préparatoire, c’était un truc de génies réservé à une élite. Même chose pour mes parents, qui sont ouvriers. Pour mon orientation, je m’imaginais une filière courte, et plutôt près de chez moi. Puis un jour, en classe de première, notre prof de sciences de l’ingénieur nous a dit : “Vous savez que vous pouvez tous aller en prépa ?” Il nous a appris qu’il y avait des écoles d’ingénieurs post-bac, des prépas plus accessibles que d’autres… Cette simple information nous a ouvert des horizons inespérés. Résultat, sur douze élèves, dix sont allés en école d’ingénieurs. Ce prof a changé ma vie de façon très pragmatique : s’il ne m’avait pas dit que c’était possible, je n’y serais jamais allée. »

(Propos recueillis par A. R.)

« Juste trois mots, et il repart »

Par Françoise Ponce, 76 ans, Toulouse

« C’était mon année de préparation à l’entrée de l’Ecole normale d’Albi. Et pour moi, fille d’un immigré espagnol qui était maître fileur dans un village du Tarn dédié au textile, c’était décisif : je savais que ce serait l’enseignement ou l’usine.

De tempérament “artiste”, insouciante comme on l’est à 15 ans, mais ayant au fond de moi la conscience de l’enjeu de ce concours, je retournais parfois au collège le mercredi – jour libre dans ces années-là – pour réviser les maths. Ils étaient ma terrible faiblesse, celle qui pouvait me conduire à l’échec. Dans ce collège de village, nous avions des professeurs qui nous connaissaient bien : ils nous épaulaient et sévissaient lorsque c’était nécessaire. Le directeur, M. Vaute, était estimé de tous. On le respectait et on le craignait, mais en confiance : il était tellement juste et sécurisant !

Un mercredi, j’étais avec deux de mes trois proches amies, Mireille et Colette, dans une classe vide, à bûcher les maths. Elles m’aidaient dans ce labyrinthe chiffré où je me perdais régulièrement. J’étais particulièrement découragée. Mon père avait lancé un jour : “Si une des quatre échoue, ce sera Françoise.” Dès que je me retrouvais face aux maths, cette phrase me revenait en tête irrémédiablement. D’un coup, la porte s’ouvre, apparaît M. Vaute. Il nous sourit, puis pose ses yeux sur moi et me dit : “Ponce, tu réussiras.” Et il repart. Juste trois mots. A ce moment-là, j’ai eu la certitude que je réussirais le concours, et elle ne m’a plus quittée. Je suis entrée à l’Ecole normale cette même année.

J’ai eu la chance de revoir M. Vaute il y a vingt ans environ, par hasard, à la mairie de mon village. Il a souri et a lancé un “Ponce !” Je lui ai dit combien sa phrase avait été déterminante pour moi. Ce moment a été une des plus belles rencontres de ma vie. Je dois à la conviction de cet homme ce que je suis devenue. »

(Reçu par internet)

« Elle a dû se dire qu’il y avait quelque chose à faire de moi »

Par Nadia El Harti, 34 ans, juriste à Paris

« J’étais une ado obèse, acnéique et myope. Une caricature. Mais elle m’a toujours dit : “Vous verrez qu’un jour, tout ira très bien”, et c’était vrai. Ma prof de français de quatrième a changé ma vie en me prenant sous son aile, dans ce lycée de ZEP de Cavaillon. C’était le boxon, et, comme j’avais sauté une classe, je me retrouvais avec des camarades bien plus âgés. Elle a dû se dire qu’il y avait quelque chose à faire de moi… Elle ne faisait pas cours : elle racontait. C’est comme ça qu’elle a réussi à m’intéresser à des choses très éloignées de mon univers – comme Ionesco ou “Antigone”, qui est devenu mon livre préféré. En m’offrant des livres, en étant une oreille attentive, elle m’a donné le goût de la lecture et de l’écriture. Je suis finalement passée en troisième européenne, puis en seconde générale, et je suis désormais rédactrice juridique à Paris. De mon quartier, on doit être dix à avoir réussi. Je l’ai revue après l’avoir retrouvée sur un réseau social. J’ai pu la remercier et elle, me dire qu’elle était très fière de moi. »

(Propos recueillis par A. R.)

« C’est de Gaulle qui se présentait à nous »

Par Alexis de La Fontaine, 37 ans, journaliste à Paris

« A chaque cours, c’était le théâtre des grands personnages de l’Histoire qui se jouait dans la classe de M. Le Goupil, dans mon lycée de Bourg-en-Bresse. Quand il parlait de Khrouchtchev frappant la tribune de l’ONU avec sa chaussure en 1960, il joignait le geste à la parole. Quand Paris était outragé mais Paris libéré en 1944, c’est de Gaulle qui se présentait à nous. M. Le Goupil avait un sens aigu de la théâtralité de l’Histoire et il excellait à la restituer. Toujours solide et exigeant sur le fond, brillant sur la forme. Attentif à ses élèves, à leurs difficultés et leur progrès, proche d’eux, sans jouer les copains. En plus, il portait une belle moustache qui coiffait un sourire complice, fumait la pipe, et il se prénommait Georges : une parenté évidente avec Brassens !

Il m’a permis de croire en mes chances de réussir aux concours que je visais pour mes études supérieures, alors que je nourrissais un profond complexe de classe. Je ne pensais pas y arriver, je les ai réussis. Il a été un parfait trait d’union entre le lycée et le supérieur, un passeur entre l’adolescence et l’âge adulte. Un guide bienveillant sur des chemins que je n’aurais peut-être pas empruntés sans lui. Je lui dois cette confiance-là : “Tu peux y arriver !” Et ses encouragements, sa stimulation, son exigence (“Un élève de terminale ES doit lire ‘le Monde’ plusieurs fois par semaine !” aimait-il répéter), m’accompagnent encore dans ma vie d’aujourd’hui. Il avait une foi profonde en les valeurs de l’école républicaine, dont il était un ardent militant, et l’un de ses meilleurs serviteurs. La conviction que cette école peut changer une vie et nous élever. L’excellente note que j’ai décrochée en histoire-géo au bac lui doit beaucoup – il y avait un discours du général de Gaulle après le putsch des généraux d’Alger de 1961 à commenter. Je crois qu’il en a tiré satisfaction. Et peut-être un peu de fierté. J’ai eu de ses nouvelles par lettre au début de mes études supérieures. Mais il est décédé brutalement quatre ou cinq ans après mon bac. Infinie tristesse en apprenant la nouvelle. C’est pour moi un grand regret de n’avoir pu le revoir. Je pense souvent à lui. »

(Reçu par internet)

« Elle me paraissait âgée dans son costume de religieuse »

Par Marylène, 62 ans, retraitée en Charente-Maritime

« Sœur Suzanne ressemblait à une vieille chose. Elle n’avait peut-être que 40 ans, mais elle me paraissait âgée dans son costume de religieuse. J’étais en troisième dans un collège des Ursulines, et c’était ma professeure de français. L’atmosphère de l’établissement n’était pas très joyeuse et je n’avais pas choisi d’être là. Comme si elle avait compris que je ne me sentais pas à ma place et qu’il ne servait à rien de me braquer davantage, elle a été très bienveillante. Un jour que j’avais apporté un livre de l’extérieur, elle m’a fait savoir que c’était interdit mais qu’elle pouvait m’en donner. Elle a donc commencé à m’en fournir – rien de très olé olé, on était tout de même des religieuses. Seulement des classiques de la littérature française, que je pouvais emporter chez moi car leur provenance mettait mes parents en confiance. A la maison, il y avait très peu de livres en dehors de ceux de ma mère, auxquels il ne fallait pas toucher. Lorsque je rendais un livre à sœur Suzanne, elle me demandait ce que j’en avais pensé. Pas de manière scolaire, seulement pour avoir mon avis. Grâce à elle, j’ai attrapé un virus qui ne m’a jamais quittée : celui de la lecture. Et j’ai trouvé le meilleur moyen d’assouvir ce goût en devenant bibliothécaire. »

(Propos recueillis par A. R.)

« Montrer que j’étais autre chose qu’une motte de beurre »

Par Hugues Marie, 25 ans, étudiant en histoire dans l’Hérault

« Dans un collège près de Béziers, Mme Chambourdon était ma professeure de musique, en cinquième. J’étais un adolescent potelé et complexé. Un jour, sans raison apparente, elle m’a proposé de faire partie de la chorale. Mais je ne savais vraiment pas chanter. Alors elle m’a proposé d’essayer l’atelier théâtre, qu’elle animait aussi. Ça ne coulait pas de source pour moi, mais j’y suis allé. Je suis monté sur scène. En me poussant à ça, Mme Chambourdon m’a permis de croire en moi – et de montrer que j’étais autre chose qu’une motte de beurre. Depuis, je n’ai jamais cessé le théâtre : avec ses encouragements, j’ai fait un bac L spécialité théâtre, et j’en fais encore aujourd’hui, dans une troupe amateur. Merci à elle. »

(Propos recueillis par A. C.)

« Elle m’a fait découvrir Annie Ernaux »

Par Sylvain Mullot, 34 ans, ingénieur et professeur à Amiens

« Lorsque je suis arrivé dans ce collège d’Amiens, en 1996, je n’avais pas un très bon niveau. Assez renfermé, je venais d’une famille modeste avec laquelle on ne se comprenait pas trop. J’ai eu plusieurs très bons enseignants. Mais ma professeure de français, qui était en fin de carrière, a tout changé pour moi. Elle était très appréciée et à l’écoute de ses élèves. Je pense qu’elle a senti en moi une soif de découverte. Alors elle m’a dit : “Si le français t’intéresse, on va faire des choses ensemble”, et a commencé à me prêter tous les livres auxquels je n’avais pas accès chez moi. Daniel Pennac d’abord, puis Jean-Paul Sartre et Albert Camus. Mais surtout Annie Ernaux, dont j’ai tout lu et que j’adore.

Cette relation s’est poursuivie durant toutes mes années collège, même lorsqu’elle n’était plus ma professeure. Elle prenait de mes nouvelles, cherchait à m’aider lorsque ça n’allait pas, lisait tout ce que j’écrivais. Grâce à elle, en sortant du collège, je ne faisais plus une faute. Mais surtout, je suis devenu passionné de littérature. Plus largement, elle m’a sensibilisé aux émotions que l’on peut ressentir à travers l’art. J’ai ensuite pu découvrir le théâtre, la musique…

Je suis aujourd’hui ingénieur dans la fonction publique et professeur associé à l’université. Je m’inspire de ce que j’ai vécu pour donner à mes étudiants un accès à des mondes qu’ils ne connaissent pas, comme la musique classique. Car un enseignant a autre chose à transmettre qu’un savoir. »

(Propos recueillis par A. R.)

« M. Larangé a revalorisé ce métier à mes yeux »

Par Elodie, 21 ans, étudiante à Paris

« Professeur de français et latin, M. Larangé avait la réputation de n’être pas facile : il était connu pour donner des pages et des pages de vocabulaire à apprendre en latin, faire énormément travailler ses élèves. Tout cela s’est confirmé dès les premières minutes de son cours de français, lorsque j’étais en première, dans un lycée de Neuilly. Dès l’appel, il nous a posé une question de culture générale à chacun. Pas commode. Au deuxième cours, il nous donnait déjà un commentaire de texte à faire. On devait apprendre par cœur des citations à n’en plus finir. Pendant les vacances de Noël, il nous a donné un ouvrage critique à lire, parmi une liste assez difficile… Cela a beau avoir dégoûté beaucoup d’entre nous de la critique littéraire, pour nos dissertations, c’était très utile. Dans sa galaxie, il n’y avait pas que Baudelaire et Candide : il nous a fait découvrir des auteurs dont nous ne connaissions que le nom, et encore… Je me souviens en particulier d’un écrivain suédois qui n’était absolument pas au programme de professeurs plus “conventionnels”, August Strindberg.

Petit à petit, certains d’entre nous se sont mis à apprécier son exigence, sa culture, et à aimer ses cours. Cela d’autant plus que nous pouvions aussi voir que nos efforts ne menaient pas à rien. Comme les autres, j’ai démarré l’année avec des notes pas terribles. Mais petit à petit, on pouvait remonter la pente. Il était contre la dictature du 16/20 comme note indépassable du bon élève : il pensait qu’on devait pouvoir obtenir plus lorsqu’on fournit un travail de qualité. Dont acte : j’ai même eu 22/20 à un devoir.

Pour moi, qui trouvais à l’époque le métier de prof presque dérisoire, avoir un enseignant qui soit également linguiste, polyglotte, traducteur a complètement revalorisé ce métier à mes yeux. Je suis arrivée au lycée avec l’envie de devenir psychiatre, j’en suis sortie avec de tout autres ambitions grâce à ce professeur. J’ai fait une prépa, et je suis maintenant à la Sorbonne, en lettres. Et je me verrais très bien enseigner le français – à des gens qui ne le parlent pas, par exemple. M. Larangé nous avait prévenus : “Vous allez m’adorer ou me détester. Mais un jour dans votre vie, vous allez me remercier.” C’est chose faite. »

(Propos recueillis par A. C.)

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